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HENRY

Henry, jusqu’alors, tant que Picquart n’a point porté une main profane sur l’Arche, a été gêné dans ses mouvements. Prendre fait et cause pour Esterhazy, qu’il disait avoir perdu de vue, était dangereux. Il était réduit à travailler dans l’ombre. Maintenant, au contraire, il n’y a que profit à se faire le gardien du legs de Sandherr. Bien qu’il eût eu maille à partir, plus d’une fois, avec le vieux colonel, il accrédita qu’il avait été son intime confident. Ainsi, nul terrain mieux préparé, plus favorable à ses intérêts. Les complicités viendront d’elles-mêmes au-devant de lui, celles d’en bas et celles d’en haut.

Boisdeffre se serait « désintéressé de la question », aurait éconduit « assez brutalement » Henry[1]. Rien de moins croyable. Selon sa diplomatie, Boisdeffre dut affecter de rester dans les hauteurs. Il eut à peine besoin de laisser entendre, négligemment, que Dreyfus avait eu Panizzardi pour intermédiaire auprès de Schwarzkoppen ; ainsi, l’Allemand pouvait donner, impunément, sa parole de gentilhomme qu’il n’avait jamais eu de relations avec le Juif. Henry connaissait cette fable, l’ayant inventée[2].

Ainsi Henry devint l’âme du complot contre Picquart.

Gonse, surtout, écoute complaisamment ce dévoué serviteur. Henry s’inquiète pour les affaires, si importantes, du bureau ; Picquart les néglige, hypnotisé dans la seule pensée de Dreyfus. Et, sans doute, Henry ne

  1. C’est ce que dit Cuignet : « Le général Gonse, homme profondément honnête et loyal, est un caractère hésitant ; il était, à ce moment, soumis aux objurgations du colonel Picquart. Pour mettre en garde le général Gonse, Henry avait eu recours au général de Boisdeffre, mais le général de Boisdeffre lui avait répondu assez brutalement qu’il se désintéressait de la question. » (Cass., I, 341.)
  2. Voir t. Ier, 263.