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ESTERHAZY


quête en dérision, il annonce qu’elle va devenir le tombeau des Français. « Les Arabes vont bientôt recommencer et, cette fois, tout à fait appuyés par les Turcs ; et si ces derniers se mêlent de la chose, vous pouvez compter que les Français recevront ici la plus splendide tripotée du monde. » En effet, « tous ces généraux grotesques ont encore la botte prussienne marquée plus bas que le dos ; ils tremblent de peur devant leur ombre ». Et, si les Turcs rechignent à la besogne, d’autres s’en chargeront, les Allemands, Bismarck, qui vient d’amener l’Italie à la Triple-Alliance[1] : « De graves événements se préparent, j’espère, et, à la première vraie guerre, tous ces grands chefs, ridiculement battus, poltrons et ignorants, iront, une fois de plus, peupler les prisons allemandes qui, encore une fois, seront trop petites pour les contenir ; toutes les farces de tous ces sauteurs seront de peu de poids devant les beaux régiments prussiens si bien commandés. » Cette image des Français vaincus, des généraux prisonniers, lui met l’âme en joie ; il la reprend sans cesse, l’embellit de couleurs plus vives : « Si les Prussiens arrivaient jusqu’à Lyon, ils pourraient jeter leurs fusils en gardant seulement les baguettes pour chasser les Français devant eux… Avant qu’il soit longtemps, les Allemands mettront tous ces gens-là à leur vraie place… Le général Saussier est un clown que, chez eux, les Allemands mettraient dans un cirque[2]

  1. Précisément, à la suite des événements de Tunisie. Le traité du 20 mai 1882 fut annoncé au Reichstag, le 12 juin, par le prince de Bismarck.
  2. Esterhazy donne le propos comme ayant été tenu devant lui par des officiers prussiens. (Procès Zola, I, 521 ; II, 149, Albert Clemenceau.) — Esterhazy reconnut, dans une conversation avec un journaliste, l’authenticité de ces diverses lettres. Figaro du 17 février 1898.)