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SCHEURER-KESTNER


donna pour consigne de ne plus prononcer le nom du traître[1].

À l’île du Diable, Lebon fit redoubler de précautions. Dreyfus était maintenant aux mains de Deniel. Le nombre des surveillants fut porté de cinq à dix[2]. Après avoir suspendu entièrement « pendant quelques semaines[3] » la correspondance du condamné, le ministre trouva lui-même « que ce traitement était trop rigoureux » ; mais, alléguant la lettre à l’encre sympathique, il ordonna que les lettres du condamné et celles des siens ne seraient plus transmises qu’en copie[4] ; cette douceur, voir l’écriture de l’être cher, la tenir en mains, fut retirée à ces malheureux. Les envois de livres que sa femme lui faisait tous les trois mois furent suspendus ; désormais, il devra faire directement ses commandes ; mais les deux premières ne lui parvinrent qu’au bout de plusieurs mois et il ne fut jamais répondu à la troisième, « de sorte qu’il dut vivre sur le fonds qu’il s’était créé précédemment[5] ». Ainsi, après avoir privé son corps de tout exercice, dans l’étroite enceinte de la nouvelle palissade, et ses yeux de la vue de la mer, on privait son intelligence de tout aliment vivi-

  1. Le 17 novembre, la Libre Parole avait dénoncé Bernard Lazare comme l’agent du Syndicat ; celui-ci protesta par une lettre que Drumont inséra, en la faisant suivre de ces deux lignes : « Nous nous garderons de tous commentaires pour éviter à nos lecteurs une nouvelle épître. » — Le 1er décembre, la Libre Parole raconta que c’était un faux Dreyfus qui était à l’île du Diable et, le 2, qu’un bateau avait été affrété au Havre pour le délivrer (Qui ? le faux Dreyfus ?) Puis, plus rien.
  2. Cinq années, 243.
  3. Rennes, I, 242, Lebon.
  4. Gabriel Monod, qui avait appris cette mesure, pria Hanotaux de la faire rapporter ; Hanotaux ne lui répondit pas. (Cass., I, 458, Monod.) Cependant, Mme Dreyfus reçut de nouveau quelques lettres autographes.
  5. Cinq années, 243.