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SCHEURER-KESTNER


n’est pas pour monter en grade ou pour entrer à l’État-Major, ce sera, du moins, pour avoir de l’argent. Ce hautain et heureux Boisdeffre devient le prisonnier, non seulement du crime, mais du criminel.

La vie intérieure de cet homme dut être atroce, marchant dans la gloire et dans les honneurs, sachant l’abîme sous ses pieds, tremblant, à chaque minute, d’apprendre que le hideux bandit a franchi la frontière et que de loin, à l’abri, il va lancer sa bombe, chargée de boue, plus meurtrière que toutes celles des anarchistes.

Henry, au bureau, portait beau, d’apparence toujours tranquille, dans sa rudesse de vieux soldat et de campagnard. Pourtant, quelques observateurs plus pénétrants s’aperçurent de son inquiétude[1].

Esterhazy, tourmenté de sa manie d’écrire, répéta dix fois sa menace :

J’en ai assez. Je vois me passer sur le dos tous ces porte-galons dont l’immense majorité est lâche au feu, plate et basse devant les chefs, hypocrite et ignorante… Et quand, au bout de vingt-sept ans, je demande la seule place qui puisse me permettre de m’en aller décemment, ce misérable Billot me traite comme un chien !

Dans une lettre à moi destinée à ma vingtième année, mon père, qui fut un vrai chef, — je n’en veux que le témoignage du prince Frédéric-Charles dans ses conférences sur la cavalerie, — et dont toute cette racaille d’épaulettiers n’aurait pas été digne de lécher les éperons, mon père m’écrivait : « N’oublie jamais un bienfait, ne pardonne jamais une offense, »

Cette canaille m’a injurié ; elle le payera cher, je le jure. Ah ! le Billot est en colère, pauvre vieux ! Moi, je ne le suis pas, mais je sais haïr et je le ferai voir. Il paraît que

  1. Récit d’un ami d’Henry à Cordier.