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SCHEURER-KESTNER


le commandant Bertin-Mourot[1], qui y tenait garnison et qu’il avait connu autrefois[2]. Bertin fit l’important ; ils n’étaient que cinq à savoir l’exacte vérité[3] ; pourtant, les récits des principaux journaux n’étaient pas mensongers.

Bien qu’il eût mal noté Dreyfus quand il l’avait eu sous ses ordres, il avait, disait-il, repoussé d’abord l’accusation et passé par le doute, l’inquiétude, l’insomnie. — En fait, dès le lendemain de l’arrestation de Dreyfus[4], Bertin l’avait chargé violemment dans une note qu’il remit à Du Paty. — Et il était décidé à prendre sa défense quand, « une nuit », il avait découvert la dernière preuve qui manquait. « Demandez aux frères de Dreyfus ; ils vous diront qu’il n’avait pas l’intention de rester dans l’armée. Une fois décoré, il eût pris sa retraite, se serait installé à l’usine de Belfort et, de là, eût continué à renseigner les Allemands[5]. »

Bertin conseilla enfin à Scheurer de faire part de ses angoisses au ministre de la Guerre ; lui-même, il le con-

  1. Mémoires de Scheurer-Kestner ; Rennes, I, 165, Billot ; II, 52, Bertin. L’entrevue fut provoquée par Scheurer, qui savait que Bertin avait été mêlé à l’affaire. Il lui demanda un rendez-vous par une lettre datée du 24 mai, que Bertin versa aux débats de Rennes (II, 41).
  2. Rennes, II, 44, Bertin.
  3. À Rennes (II, 56, 57), Bertin convient du propos : « Je me considérais comme un des cinq (pourquoi cinq ? je ne m’en souviens plus) mêlés à la découverte de la culpabilité. » — Il est possible que ce chiffre ne soit qu’une hâblerie de Bertin,
  4. Voir t. 1er , 145.
  5. Bertin raconta encore à Scheurer que Demange, au procès de 1894, avait plaidé « l’amorçage », que Dreyfus avait un jour ouvert une armoire secrète pour y copier des documents et avait été pris sur le fait. Demange, questionné par moi, démentit le récit qui le concernait ; Bertin lui-même, à Rennes, n’osa pas répéter qu’il avait surpris Dreyfus en flagrant délit d’indiscrétion.