une maladie, un besoin. Deniel lui faisait poser par les surveillants des questions insidieuses ; ils eurent l’ordre de relater ses gestes, les jeux de sa physionomie. Il vivait dans la terreur d’une évasion ; une fumée à l’horizon était l’indice certain d’une attaque possible, la préface de précautions et de sévérités nouvelles[1].
Dreyfus s’enferma dans un impassible dédain ; il voudrait hurler ses douleurs, mais se tait, « et jamais une plainte ne s’exhale de ses lèvres muettes[2] ». Il continue à travailler, à écrire, « fier quand il a gagné une longue journée de vingt-quatre heures ». Et ses lettres vibrent toujours de la même « implacable volonté ». Parfois, une allusion à « cette torture incessante » qu’il subit, « à ce supplice qui déroute toutes les croyances en ce qui fait la vie noble et belle ». Mais, aussitôt, il s’excuse d’étaler ces blessures ; c’est « qu’elles sont trop cuisantes, trop brûlantes, et cela fait trop mal[3] ». Et l’éternelle protestation éclate à nouveau :
Sois forte et vaillante, héroïquement mère et française. Quand la douleur devient trop grande, si les épreuves que l’avenir te réserve sont trop fortes, regarde nos enfants, et dis-toi qu’il faut que tu vives, qu’il faut que tu sois là, leur soutien, jusqu’au jour où la patrie reconnaîtra ce que j’ai été, ce que je suis[4].