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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Hanotaux laissait seulement colporter ce mensonge. S’il avait cru que Scheurer était victime d’une pareille supercherie, son devoir eût été de l’en avertir. Il s’en garda.

Entre temps, on colportait que Scheurer, dès la rentrée, interpellerait le gouvernement sur Dreyfus. Un journaliste lui demanda confirmation de la nouvelle. Scheurer répondit qu’il n’avait fait part à personne d’un tel projet[1].

C’était rigoureusement exact. Mais on interpréta le démenti comme un désaveu du bruit qui s’était répandu que Scheurer poursuivait la revision du jugement de 1894. Il reçut des lettres inquiètes dont il s’amusa, se félicitant du succès de son équivoque. « Il n’y a donc que les interpellations qui comptent[2] ? »

Lui supposant un dossier, je l’engageai à consulter deux des maîtres de la barre, Waldeck-Rousseau et Barboux, avant toute autre démarche. Il me répondit qu’il était doublé d’un avocat moins illustre, mais très fin et très délié ; c’était Leblois.

Billot, lui aussi, croyait au dossier de Scheurer et en eût voulu connaître le contenu. Un jour que je lui ren-

  1. Matin du 8 octobre 1897. — Il m’avait écrit, dès le 22 septembre : « Je ne compte pas commencer par le Sénat. Si, à la suite d’une interpellation qui aurait l’avantage de me mettre en vue, de faire parler de moi, comme d’un simple député en quête de popularité ou d’impopularité, le Sénat votait l’ordre du jour pur et simple, le malheureux serait un peu plus enfoncé qu’avant. Or, c’est ce qu’il faut éviter. Ce n’est donc pas ce que je ferai. »
  2. De Thann, 13 octobre : « J’ai parfaitement atteint mon but. Si je l’ai dépassé, cela n’offre aucun inconvénient. Quand on tient un renard par le cou, dans un bon nœud, et par la queue, on se moque pas mal de ses résistances et de ses remarques. » Il observe que la presse allemande n’a pas été dupe de sa réponse ambiguë : « Il est remarquable, a écrit la Gazette de Francfort, que le sénateur démente l’interpellation, mais ne dise pas un mot de la question de l’innocence de Dreyfus. »