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LA COLLUSION

Esterhazy s’échauffa contre ses dénonciateurs ; son ton parut sincère à Du Paty[1]. Il montra la lettre « Espérance[2] », entra, à l’étonnement de ses interlocuteurs, dans des détails assez précis, parla de Sandherr comme s’il l’avait connu, ce qui amena une rectification de Gribelin[3]. S’emportant, il dit que des faux avaient été préparés contre lui, et qu’il s’adressera au besoin à l’Empereur d’Allemagne[4]. Du Paty chercha à calmer l’impudent comédien ; il eut l’impression que quelqu’un l’avait déjà prévenu[5] ; mais, se laissant aller, il renouvela avec plus de force l’assurance que des protecteurs puissants et français ne lui manqueraient pas[6]. Enfin, il lui posa diverses questions relatives à sa vie privée et aux manœuvres, celles que vise le bordereau[7]. Tout le temps, Esterhazy feignit d’ignorer que ses interlocuteurs étaient des officiers. Gribelin lui ayant recommandé beaucoup de prudence, à cause de la police : « Vous en êtes donc ? » interrompit Esterhazy, en goguenardant[8].

Du Paty, au bout d’une demi-heure, alla rejoindre Henry et revint avec lui en voiture, jusqu’à la place Saint-François-Xavier, où le fourbe dit qu’il avait rendez-vous avec la Bastian[9]. Gribelin partit de son côté ; pour ce qu’on avait dit à Esterhazy, il eût été plus simple, pensait-il, de le faire venir au minis-

  1. Cass., I, 448, Du Paty.
  2. Ibid., 435, Gribelin ; 448, Du Paty.
  3. Ibid., 448 ; II, 35, Du Paty.
  4. Ibid., I, 450 ; II, 177, etc., Du Paty.
  5. Ibid., II, 194, 200, Du Paty. — « C’est un fait, dit Gonse, que j’ignore complètement. » (II, 198.)
  6. Ibid., I, 450, Du Paty.
  7. Ibid., 435, Gribelin.
  8. Ibid. — Esterhazy dit qu’il savait que c’étaient des officiers (I, 578).
  9. Instr. Tavernier, 23 juillet. Du Paty.