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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


jusqu’au nom de cet homme[1]. « Son premier mouvement a été de le rechercher, de le tuer ; mais Picquart n était pas à Paris ». Il s’est reporté alors au fac-similé du bordereau publié, l’an passé, par un journal. Si l’ensemble de cette écriture diffère de la sienne, certains mots sont d’une ressemblance si frappante qu’on les dirait calqués. Précisément, « dans l’un des documents publiés à ce propos, il a lu que le bordereau a été écrit sur papier calque ». Or, « malheureusement pour lui, son écriture traîne depuis longtemps chez les banquiers, les prêteurs d’argent, les marchands bijoutiers et autres gens avec lesquels Dreyfus pourrait avoir des accointances ». « Au moment des duels Morès, Crémieu, Mayer, il a reçu de nombreuses lettres d’officiers israélites ; il leur a répondu par un mot de remerciements ; Dreyfus était peut-être du nombre. » Mais surtout, et ses souvenirs sont, à cet égard, très nets, il a reçu, au commencement de 1894, l’année du bordereau, une lettre signée d’un officier du ministère, le capitaine Brô[2], « qui avait un travail à faire sur le combat d’Eupatoria » ; Brô « pour avoir des renseignements circonstanciés », s’adressait, naturellement, au fils du héros de cette rencontre. Esterhazy écrivit, en conséquence, « une notice assez volumineuse sur Eupatoria », bourrée de mots techniques, et l’envoya à son correspondant, non pas au ministère, mais à une adresse particulière qu’il ne saurait plus préciser[3].

  1. Assertion qui n’empêchera pas Esterhazy de dire plus tard qu’il faisait partie du contre-espionnage. Étrange agent qui ne connaît pas le nom du successeur de Sandherr !
  2. Pour Brault, autre faute intentionnelle.
  3. Ce manque simulé de mémoire est bien dans la manière d’Henry. « Je devais, d’après ma consigne, explique Esterhazy, ne plus me rappeler si c’était rue de Châteaudun ou rue Lafayette. » (Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 56). Hadamard, le beau-père de Dreyfus, demeurait rue de Châteaudun.