Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
657
LA COLLUSION
de la Guerre sans que personne au monde y ait jeté les yeux ; mais qu’on me défende vite, car je ne puis plus attendre, et je ne reculerai devant rien pour la défense ou la vengeance de mon honneur indignement sacrifié[1].

Ce brevet d’honnête homme, décerné par un espion au pauvre homme que Drumont poursuit de ses menaces, et surtout, avec le « Haro » si bien amené, ce titre de prince qui, jadis, a fait aller le bourgeois gentilhomme jusqu’à la bourse tout entière, Félix Faure n’y fut pas insensible. Mais il fut surtout épouvanté de l’audace croissante de son étrange solliciteur. Il communiqua aussitôt cette nouvelle lettre à Billot et à Boisdeffre qui, tous deux, venaient de recevoir des missives semblables[2] ; et, encore une fois, pleine et entière satisfaction fut accordée au bandit.

La lettre d’Esterhazy, le soir même où elle fut transmise à l’État-Major, donna lieu, dans le bureau de Gonse, à une scène de haute comédie[3]. Gonse, en

  1. Cass., III, 474.
  2. Ibid., II, 268, Enq. Bertulus, Esterhazy.
  3. Du Paty, à l’instruction Tavernier (17 juin 1899), a d’abord placé la scène au 3 novembre ; il rectifie ensuite (21 juillet) cette erreur de date ; la scène eut lieu le 5 novembre au soir ; en effet, le lendemain 6, il fut chargé par Billot d’écrire au Gouverneur de Paris une lettre où il était fait mention de la lettre d’Esterhazy. — Gonse, devant Tavernier, convient de cette scène, sauf des réserves insignifiantes de détail ; ainsi, il n’aurait pas entendu la phrase sur « l’habit militaire » ; d’ailleurs, il avait déjà raconté à la Cour de cassation (21 janvier) ce propos de Du Paty : « À moins que ce ne soit la pièce Ce canaille de D… » ; mais, sur le moment, Gonse n’avait pas attaché grande importance à ce propos (I, 567), — Enfin, Roget fait, lui aussi, le même récit qu’il tient d’Henry. Il y a donc accord entre les témoins de la scène. Seulement, de cette remarque judicieuse de Du Paty sur la pièce « Canaille de D… », Roget conclut que c’est Du Paty qui a remis à Esterhazy le document libérateur (I, 102). « C’est, ajoute Roget, l’étonne-


42