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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


dirigé par Henry, n’avait pas fait usage, sans intention, du mot de « canaillerie » qui peut s’appliquer à des pièces différentes. Il faisait cuire les grands chefs dans leur jus.

Cette scène, où les trois acteurs paraissent si bien au naturel, si Henry la conta à Esterhazy, dut fortement divertir le pandour.

Le jour suivant, Billot, en présence de Boisdeffre et de Gonse, chargea Du Paty d’écrire au général Saussier qu’il aurait, le lendemain, à interroger Esterhazy[1]. À cette dépêche était jointe une copie de la lettre d’Esterhazy à Félix Faure.

Esterhazy fut averti qu’il serait entendu par Saussier : « Le général vous interrogera sur la pièce. Refusez de parler et dites que vous l’avez en lieu sûr. Il n’insistera pas, du reste. Tout va bien[2].

Rassuré ainsi sur le succès de sa dernière lettre au Président de la République, Esterhazy se rendit chez

  1. Cette lettre (du 6 novembre 1897) a été versée, en copie, à l’instruction Tavernier (n° H 1 du dossier des archives de la Guerre, n° 3, cote 3 de l’instruction). Tavernier la communiqua à Du Paty, qui expliqua les conditions où il l’avait écrite (21 juillet 1899).
  2. Esterhazy, devant la Cour de cassation, dit qu’il fut averti par Henry (I, 583). Dans sa déposition à Londres (26 février 1900), il dit « que la lettre est de l’écriture contrefaite de la marquise Du Paty ». En voici le début : « Vous allez être convoqué pour demain par le Gouverneur. La convocation vous est adressée au Cercle militaire et, en double, rue de la Bienfaisance. Allez la chercher immédiatement… etc. » — Esterhazy observe que le ministre de la Guerre savait fort bien « qu’il était descendu rue de Douai », chez la fille Pays, et qu’il était plaisant de lui faire adresser cette communication, en double, « au Cercle militaire, endroit bien vague pour faire parvenir une communication urgente, et à son domicile (conjugal) où il n’avait pas paru ». Mais on n’osait pas mettre Saussier au courant de toutes les malpropretés de la collusion.