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ESTERHAZY


d’Esterhazy, mandé à Paris, de sa campagne de Dommartin, par dépêche officielle[1]. Esterhazy lui-même avait, précédemment, offert son concours. C’est le procédé classique.

Telle était alors la terreur qui fit, pendant quelques mois, de la République française une sœur cadette de la République de Venise, sans la hache et sans les Plombs, mais où il suffisait d’être nommé pour être sali. Ce vieillard avisé, le plus éminent dès collaborateurs de Gambetta et le plus fin des politiques, ne comprit pas qu’il s’humiliait, rien qu’à ne pas rejeter une telle intervention. Jaloux, avec raison, de son honneur, il pensait le défendre, alors qu’il livrait surtout le secret de sa faiblesse. Esterhazy, qui était accouru, fut reçu, en secret, par Lagrange de Langre[2] et rapporta, en goguenardant, l’entretien à ses amis. Les gens de la Libre Parole ne désarmèrent pas, mais ils notèrent l’incident sur leurs tablettes, pour s’en servir plus tard. La nomination d’Esterhazy à Rouen fut signée le lendemain[3].

  1. Par lettre du 27 décembre 1892, sur papier officiel, un des officiers d’ordonnance de Freycinet avait prié l’un des amis d’Esterhazy de faire savoir à celui-ci « que M. Lagrange de Langre désirait l’entretenir chez lui, dans la soirée, avenue Kléber, 22 ». Pour le cas où Esterhazy ne serait pas à Paris, l’officier de service priait son correspondant de lui faire savoir l’adresse actuelle du major « par le planton, porteur de cette lettre ». Par surcroît de précaution, l’officier de service avait mentionné, sur l’enveloppe, que la lettre pourrait être ouverte tant par son correspondant que par « l’un des membres de sa famille ». — J’ai sous les yeux l’original de cette lettre. — « M. de Freycinet m’a fait, par dépêche télégraphique officielle, sur papier jaune, mander sur le champ de Dommartin, où j’étais en permission, à Paris. » (Dép. à Londres, Éd. de Paris, 80),
  2. 28 décembre 1892.
  3. « Par décision du 29 décembre 1892, M. Walsin Esterhazy, major du 110e passe au 74e. »