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ESTERHAZY


tuer et les miens avec moi. C’est horrible. Nul ne peut savoir ce que je souffre[1]. »

Phrases de roman, littérature de mélodrame ; pourtant, ce dessein de partir, de chercher fortune à l’étranger fut sérieux. Un instant encore, comme épouvanté de lui-même, il s’y raccroche.

Berger répondit favorablement, mais sans promettre une solution immédiate. Un peu plus tard, vers l’été de 1893, il vint à Paris, manda Esterhazy et lui offrit la place qu’il avait si vivement sollicitée. Esterhazy le remercia, mais refusa. Il a changé d’avis. Si ses parents de France l’ont abandonné dans sa détresse, ses parents d’Autriche, dit-il, ont été plus généreux ; l’un d’eux, un vieil oncle, lui a assuré une rente annuelle de douze mille francs.

L’oncle n’existait pas, et Esterhazy ne recevait aucun subside d’Autriche.

XI

Il était entré, depuis le mois de juin, au service du major Max de Schwarzkoppen[2].

  1. Lettre au même, un peu postérieure. — Esterhazy ne date presque jamais.
  2. J’ai tiré (presque exclusivement) de documents manuscrits et de mes conversations avec quelques personnages directement informés, les éléments du récit (d’ailleurs, et forcément, incomplet) qu’on va lire. On a déjà vu (t. I, 242) que Schwarzkoppen, dès l’origine, avait raconté son aventure à Panizzardi, son collègue italien, sans toutefois nommer Esterhazy. Il ne le nomma qu’en 1897, avant son départ pour Berlin. Le comte Tornielli consigna par écrit le récit que lui fit alors son attaché ; il déposa ce mémoire, intitulé Pro Veritate, aux archives diplomatiques, à Rome, et en a annexé une copie à son testament.