mort, Esterhazy prend la fuite. Mais, avant même de chercher asile en Angleterre, dans le premier désarroi, quand la revision du procès Dreyfus paraît imminente, il se déclare l’auteur du bordereau[1] ; il l’a écrit par ordre, d’accord avec Sandherr, mort depuis longtemps, et avec Henry. Version absurde, qui ne résiste pas à l’examen. Mais cette fable, qu’il reprendra sans cesse[2], d’une association de contre-espionnage, n’est-ce pas le demi-aveu de l’association d’espionnage ? L’amour-propre survit, chez Esterhazy, à la ruine de tout. Devant l’histoire, comme devant Schwarzkoppen, il essaie de ne point paraître comme un traître vulgaire. Il dit à Schwarzkoppen : « Je suis un Allemand qui sert bien son pays en lui livrant les secrets de l’ennemi héréditaire. » Il dit à l’histoire : « Je suis un soldat qui a obéi à ses chefs jusqu’au crime. »
Schwarzkoppen haussa les épaules.
Cependant, la preuve matérielle d’une association manque. Henry est mort, a disparu sans parler. Et nul contrat ne fut passé.
On entrevoit bien qu’au début le tentateur, le pervertisseur, ce fut Esterhazy. Et l’on devine aisément l’œuvre diabolique. L’élégant aventurier a commencé par éblouir le rustre ; il se l’attache par une bienveillance familière, le reçoit à sa table[3], et non pas une seule fois, comme fera
- ↑ Gaulois du 4 septembre 1898 : « Le ministère de la Guerre aurait été officiellement avisé que le commandant Esterhazy se proposait de se déclarer, à brève échéance, l’auteur, par ordre, du bordereau. » La déclaration d’Esterhazy parut dans l’Observer de Londres, le 25 septembre.
- ↑ Cass., I, 609 ; Dép. à Londres, 1er mars 1900.
- ↑ Dép. à Londres, Éd. de Paris, 26 : « Henry venait souvent déjeuner chez moi, et j’eus l’occasion et le plaisir de lui rendre quelques petits services. » — Rennes, I, 359, Bertulus : « Esterhazy a fasciné Henry. Henry a mis le doigt dans la main d’Esterhazy ; une fois qu’il a été dans l’étreinte, ç’a été fini. Henry est une victime d’Esterhazy. »