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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX

La fausse date qui, en 1894, avait été attribuée au bordereau, servit puissamment Esterhazy. D’Aboville, qui, le premier, avait nommé Dreyfus, s’était arrêté à une objection : « Est-il allé aux manœuvres ? » Le colonel Fabre s’était souvenu alors que Dreyfus, en juin, avait pris part à un voyage d’État-Major[1]. Dès lors, pour ne pas rester sans traître, on avait décidé que la « lettre missive » avait été écrite au printemps, bien qu’elle fût parvenue seulement en automne ; et nul, pas plus Picquart que Du Paty, ne s’était demandé ce que le bordereau était devenu dans ce long intervalle. Pourtant, bien que tout l’argument de d’Ormescheville impliquât cette date[2], il ne l’avait pas précisée[3]. On réservait ainsi l’avenir. Mais ce fut la date officielle, celle qui fut toujours donnée au bureau des renseignements[4].

Pellieux sait, lui aussi, que le bordereau, qui a été saisi en septembre, n’est pas d’avril[5] ; mais il laisse croire à Mathieu que la lettre a été prise au printemps, donc écrite vers la même époque, et il aide Esterhazy à exploiter l’équivoque.

Le manuel, dit Esterhazy, ou tout autre document

  1. Voir t. Ier, 60.
  2. « Il nous paraît impossible que Dreyfus n’ait pas eu connaissance des modifications apportées au fonctionnement des troupes de couverture au mois d’avril dernier… Il doit s’agir de la suppression des pontonniers et des modifications qui en résultent. Il est inadmissible qu’un officier ait pu se désintéresser des suites d’une pareille transformation, au point de l’ignorer encore quelques semaines avant qu’elle ne devienne officielle. » La loi fut votée le 21 mai et promulguée le 29 juin 1894. — Voir t. Ier, 290. 323, 402, 409, etc.
  3. Cass., I, 76, Roget : « Parce qu’il n’y avait aucun intérêt à le faire. » — Au contraire. — Plus loin : « On a toujours dit au service que le bordereau était du mois d’août. » (77)
  4. Procès Zola, II, 112, 113, Picquart.
  5. Ibid., II, 112, Pellieux, Gonse.