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LA CRISE MORALE

Leblois, à son tour, a « follement essayé de mettre d’accord les contradictoires, et Scheurer, enfin, s’est laissé embarrasser lui aussi, dans le conflit des devoirs ; il a été « mis en mouvement, mais avec des serments de ne rien dire, et, plutôt que de manquer à la foi jurée, il s’est fait bafouer ».

On eût été en droit de demander à Clemenceau, qui en fût convenu[1] : « Eussiez-vous fait mieux ? » En tout cas, l’heure des réticences était passée. Scheurer, quelque confiance qu’inspirât sa loyauté, n’avait pas donné l’impression d’un chef, à peine d’un guide. Sauf les quelques initiés qui, d’ailleurs, l’avaient initié lui-même, on savait seulement qu’il savait la vérité. On avait attendu en vain qu’il en fit apparaître une image saisissante et qui permît d’opposer aux mensonges un récit exact et comme un corps de doctrine. Mais il n’en avait rien fait, étranglé par la parole donnée, et, aussi, parce que la puissance évocatrice, indispensable à une telle entreprise, lui manquait. Il avait laissé à chacun le soin de se faire sa conviction, comme il s’était faite la sienne, au hasard des révélations partielles et des incidents quotidiens. Il s’était contenté de sonner à la justice, comme on sonne à l’incendie. S’il faut s’étonner, c’est qu’il se soit trouvé tant d’hommes de bonne volonté pour répondre à son appel.

Sans l’acte d’accusation de Ravary, le petit bleu était encore inconnu. Sans l’acte d’accusation de d’Ormescheville, si je ne l’avais publié, on ignorait encore sur quoi Dreyfus avait été condamné.

Il était nécessaire de codifier ces fragments de vérité, de donner aux fidèles leur Credo.

Cette grande page où éclatera tout le drame, Zola en

  1. « Je n’ose le blâmer (Picquart), mais je constate la faute, etc. »