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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

IV

La lettre de Zola, criée par les rues, vendue, en quelques heures, à plus de deux cent mille exemplaires, remplit d’allégresse les partisans de Dreyfus, et de colère les adversaires de la Revision. Tout de suite, les uns et les autres furent d’accord que Zola devait être poursuivi, ceux-ci parce qu’une telle injure à l’armée ne saurait rester impunie, ceux-là parce que du procès devant le jury jaillira enfin la vérité, étouffée, depuis quatre ans, sous les huis clos[1].

Méline fut très surpris par cette terrible attaque. Comme il était loin de soupçonner la plus petite partie de ce qui avait été fait pour rendre possible, puis pour couvrir le crime judiciaire de 1894, il s’indigna des accusations portées par Zola contre les chefs de l’armée. Il les crut aussi mensongères qu’elles étaient, de fait, incomplètes. Mais, en même temps, il vit, en vieux routier de la politique, que ce serait folie d’accorder à Zola le retentissant procès que l’écrivain sollicitait. S’il avait refusé de me poursuivre pour la publication du rapport de d’Ormescheville et de poursuivre Bernard Lazare pour son mémoire, il y avait des raisons beaucoup plus nombreuses et plus fortes de ne pas donner à Zola le tréteau de la Cour d’assises. Loin d’éteindre l’incendie, ce serait l’étendre. La seule réponse qu’il convenait de faire à l’insolente bravade, c’était de l’ignorer.

  1. Le même jour (13 janvier 1898), Cassagnac écrivait dans l’Autorité : « Le verdict du conseil de guerre n’a rien réglé. Il y aurait, peut-être, intérêt pour tout le monde à sortir des ténèbres du huis clos et à comparaître au grand soleil. »