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LA CRISE MORALE

Faure. Mercier, comprirent, quelle faute ils avaient commise en mettant l’homme là, sur ce rocher, au milieu de l’océan, si haut, concentrant les regards ; on l’y voyait de toute la terre.

VIII

Le peuple des villes ne prit pas feu.

Cela étonna fort, et surtout à l’étranger, où l’impétueuse générosité du prolétariat français était légendaire, toujours prompt à prendre le parti du faible contre le fort, enthousiaste des belles causes, ivre d’idéal. Visiblement, ce génie fléchissait.

Il y avait à ce phénomène une cause profonde, physiologique : l’alcoolisme. Il affaiblit les facultés intellectuelles et morales, pèse d’une lourde tyrannie sur la pensée. La plume, la parole, ne s’adressent plus à des esprits aussi libres qu’autrefois.

Une autre cause, c’était, depuis trop longtemps, depuis trop d’années, que dis-je ? depuis trop de siècles, une accumulation trop lourde de déceptions dans la lutte du travailleur contre la misère et la tyrannie. À vouloir d’un coup d’épaules, comme ils en eurent tant de fois l’illusion, renverser la montagne d’iniquités, inaugurer le règne de la justice, le millénaire qui fuit toujours, combien étaient morts à la peine, déportés, fusillés ! Maintenant, ils s’étaient bronzés. Ils ont tant souffert, tant vu souffrir, vu tant d’actes arbitraires et de cruautés ! Qu’importe une misère de plus, une injustice de plus, accidentelles ? Celles dont souffre le peuple sont permanentes.

Et, surtout, quand la victime appartient à la classe