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LA CRISE MORALE


et brutalise tout le monde, juifs et chrétiens[1].

À Paris. Guérin exerçait ses troupes, tantôt au quartier latin, tantôt sur les boulevards. Il fit promener tout un jour une pancarte avec ces mots : « Zola à la potence ! Mort aux juifs ! » Le soir, dans les réunions publiques, il déclarait, par une, parodie catholique de la Commune, que des otages étaient choisis parmi les amis du traître. C’étaient Bernard Lazare et moi[2]. Mais il trouva à qui parler. Le 17, avec Alphonse Humbert, Thiébaud, Le Provost de Launay, le vicomte de Pontbriand, il avait organisé un meeting d’indignation. Thiébaud s’étant écrié : « C’est la Révolution qui commence ! » les socialistes se précipitèrent à l’assaut de la tribune ; on s’assomma pendant une heure ; le sang coula.

Ce ne sont là pourtant que des feux de paille si on les compare à la conflagration qui a éclaté, de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie. L’antisémitisme, depuis quelques années, y avait beaucoup grandi. Les juifs d’Algérie, naturalisés en bloc par le décret du 14 octobre 1870[3], étaient très reconnaissants à la République de les avoir faits Français. Ils s’attachèrent particulièrement au groupe politique qui les avait appelés d’un coup à la cité complète. C’était celui des amis de Crémieux et de Gambetta. Les autres groupements, d’ailleurs républicains, leur en voulurent de soutenir un seul parti de leur vote et de leur argent. — La population

  1. Dépêches de l’Agence Havas. Mêmes récits dans la Libre Parole, l’Intransigeant et la Croix des 17. 18, 19 janvier 1898, etc.
  2. « Dès ce soir, MM. Reinach et Bernard Lazare sont nos otages. » (Déclaration de Guérin à un rédacteur du Figaro. 19 janvier.)
  3. Signé : Crémieux, Gambetta, Glais-Bizoin, Fourichon. Dès 1899, le Gouvernement impérial avait soumis au Conseil d’État un projet analogue.