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LA DÉCLARATION DE BULOW


port avec un de ses compatriotes qui savait beaucoup de choses. C’était ce malheureux Oscar Wilde, penseur subtil et profond, qui avait été condamné à Londres pour sodomie[1], et qui, réfugié avec son complice à Paris, après avoir purgé sa condamnation, y traînait une existence misérable sous le nom de Melmott. Wilde avait gardé des relations avec un autre Anglais à qui Panizzardi avait fait quelques confidences. L’Italien lui avait notamment raconté la dernière visite d’Esterhazy à Schwarzkoppen. Wilde en informa Esterhazy[2], qui fut pris de peur à l’idée que Panizzardi avait bavardé avec d’autres, et que tant de cadavres mal enterrés sortiraient du tombeau. Panizzardi avait dit aussi que l’État-Major allemand possédait de nombreuses lettres d’Esterhazy, que lui-même en avait des photographies et qu’on pourrait peut-être les communiquer à un journal[3].

Wilde, convaincu qu’Esterhazy était un traître, s’intéressait d’autant plus à lui. Il s’amusait fort de la surprenante tragi-comédie que lui donnait le forban, et goûtait, en artiste, ses colères où éclatait tout l’Enfer. Pour cet Anglais, le plus raffiné et le plus perverti des

    — Strong fit de nombreuses démarches en faveur d’Esterhazy ; Léon Daudet lui dit : « Il se pourrait qu’Esterhazy ne fût ni un traître ni un bandit, mais il est certainement l’auteur du bordereau. » (I, 743.)

  1. Cass., I, 787, Gérard : « Mme Pays m’a raconté avec quelques détails les faits qui ont motivé cette condamnation. »
  2. Cass., I, 741, Strong. — Le témoin ne désigne Wilde que sous son pseudonyme ; il aurait honte d’avouer ses relations avec l’auteur de Dorian Grey et de l’admirable poème : La Ballade de la prison de Reading.
  3. Blacker fit le même récit au député Grandmaison, et lui proposa « de se charger de ces documents, s’il les pouvait obtenir, pour les communiquer à qui de droit. » (Cass., I, 735 ; Rennes, II, 267, Grandmaison.) Du Paty dit qu’Esterhazy « était parfaitement renseigné sur le camp adverse ». (Cass., II, 194.)