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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’allure commune, le teint fleuri du gourmand, les lèvres pincées, qui cachait, sous une gravité molle, l’orgueilleux plaisir de présider cette grande affaire, comptait en tirer honneur et profit, aux petits soins avec les journalistes de la presse criarde, la voix dure, soit qu’il déclamât, soit qu’il réprimandât, soit qu’il plaisantât, volontiers insolent, et l’homme du monde le mieux fait, dans un tel procès, pour ne pas accroître le renom du magistrat-fonctionnaire que l’on décore du nom de juge. Il avait, pour assesseurs, le conseiller Lauth, chauve et rougeaud, et le conseiller Bousquet, hirsute et pâle, la barbe blanche comme la crinière, l’une embroussaillée, l’autre inculte, ancien député qui avait accepté, un jour, d’être ministre de la Justice et avait rendu la simarre au bout d’une heure, la trouvant trop lourde.

Le ministère public était occupé par l’avocat général Van Cassel, rechigné et brutal, dont on racontait que, substitut dans le Nord, il avait tiré lui-même sur un fou qui, s’étant échappé, avait grimpé en haut d’une tour[1].

Au banc des accusés, Zola, rêveur, le menton appuyé sur sa canne[2] ; le gérant Perrenx, l’air d’un ouvrier endimanché ; Vaughan, et, derrière eux, Labori, avec deux secrétaires, Hild et Monira, et les frères Clemenceau, deux exemplaires d’un même homme, Vendéens

  1. Van Cassel était substitut à Saint-Omer. Le fou jetait des briques et des plâtras sur les gendarmes qui entouraient la tour. Le sous-préfet Riff fit ouvrir le feu sur le malheureux, qui fut blessé. Le substitut Van Cassel prit part à la salve, avec un revolver. La Cour de Douai lui infligea une amende (10 décembre 1875).
  2. Il reçut, pendant cette première audience, des centaines de dépêches. « À quatre heures, il y en a bien un kilo. (Albert Bataille, dans le Figaro du 8 février 1898.)