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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de machine[1] », hachant et martelant le débat, leit-motiv de la peur du vrai : « La question ne sera pas posée[2] ».

Zola, très nerveux, se dressa, réclama « la liberté qu’ont les assassins et les voleurs : ils peuvent se défendre, faire citer des témoins. Tous les jours on m’injurie, on casse mes carreaux, une presse immonde me traite comme un bandit ! » Et ce flot d’éloquence eut continué si Delegorgue n’eut interrompu par ces mots : « Vous connaissez l’article 52 de la loi de 1881 ? » Zola trébucha : « Je ne connais pas la loi, et je ne veux pas la connaître[3]. »

Une clameur lui répondit.

L’avocat général s’empara de la malencontreuse parole : « Nous, nous connaissons la loi ; nous, nous la ferons respecter ! »

Tout le pharisaïsme de la légalité s’abattit sur lui. Il chercha en vain à s’expliquer. Il ne se révoltait pas « contre la grande idée de la loi, mais contre les arguties d’une procédure hypocrite ».

Dans le tumulte qui suivit, on oublia Mme Dreyfus, toujours debout à la barre. La cour décida que la femme du condamné ne serait pas entendue.

Leblois déposa ensuite, puis Scheurer. Leblois, adroit, ferme, de physionomie fine, intéressa beaucoup en racontant l’affaire des faux télégrammes et les aventures de Du Paty et des Comminges. Tout le monde en conclut que la prétendue dame voilée qui avait documenté Esterhazy, c’était Du Paty. On ne savait rien d’Henry.

  1. Séverine, Vers, la Lumière, 66.
  2. Procès Zola, I, 85.
  3. Zola, quand les clameurs s’apaisèrent, ajouta : « … en ce moment-ci, je fais appel à la probité des jurés ».