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LE PROCÈS ZOLA


l’invention du gin, Londres avait assisté à des scènes pareilles, d’une stupide sauvagerie[1].

De plus en plus, les bourgeois s’effrayèrent, s’irritèrent contre les défenseurs de Dreyfus qui étaient cause de ces troubles.

V

Esterhazy était parti furieux de la première audience. Quelques acclamations qu’il recueillit ne compensaient pas l’offensante attitude de Gonse et de ses officiers à son égard, « devant les civils ».

Il avait gardé, dans son abjection, beaucoup d’amour-propre. Rentré chez sa maîtresse, il se soulagea d’abord par des imprécations, des injures à toute volée, une scène de fureur et de rage[2]. Puis, à la réflexion, il eut recours à son procédé ordinaire, le chantage, avec sa propre infamie pour enjeu. Il ne se rendit pas à la seconde audience, envoya un ultimatum à l’État Major : « Ou demain, dans la salle des témoins, les officiers viendront lui serrer la main, l’admettront dans leur compagnie, ou il mangera le morceau. »

Veut-on ou ne veut-on pas qu’il soit innocent ? Son honneur intéresse-t-il ou non la sûreté de l’État[3].

Déjà, l’année d’avant, il avait menacé Boisdeffre de s’avouer l’auteur du bordereau ; mais alors, avant de lui jeter sa confession à la face, il eût pris la précaution

  1. En 1742, rapport de lord Londsale. (Taine, Littérature anglaise III, 256.)
  2. Récit de Marguerite Pays à Christian Esterhazy dont je le tiens.
  3. C’est ce qu’Anatole France a très bien montré. (L’Anneau d’améthyste, 291.)