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LE PROCÈS ZOLA


apparut que Salles avait des choses graves à dire sur l’autre affaire.

Delegorgue ne fut jamais plus brutal dans son systématique déni de justice, au nom de la justice. Durement, il malmena Labori, répéta, sans se lasser, son éternel : « La question ne sera pas posée. » Le vieil avocat restait à la barre, très pâle, retenant avec une visible souffrance l’aveu prêt à s’échapper. Albert Clemenceau, d’un rapide mouvement tournant, l’interpella : « Nous prétendons que ce témoin tient de la bouche d’un juge du conseil de guerre, qu’une pièce secrète a été communiquée… Que le témoin nous démente d’un mot, M. le président n’aura pas le temps de l’arrêter ! » Alors, comme toute la salle, frémissante, et le grand Christ de Bonnat, au fond du prétoire, semblaient crier à ce « mur vivant » qui restait muet : « Mais parlez donc ! Comment la vérité ne sort-elle pas malgré vous de votre bouche de vieillard ? » le juge hurla : « Monsieur, ne répondez pas ! », et il ordonna à l’huissier d’appeler vite un autre témoin[1].

Cette fureur de Delegorgue à empêcher Salles de parler, le refus de Mercier à répondre à la question précise, son aveu par le silence, c’était, pour tous les esprits libres, la preuve formelle que Dreyfus avait été illégalement condamné.

VIII

Ainsi, malgré les précautions juridiques et militaires, à chaque témoin, qu’il dît vrai ou qu’il se parjurât ou qu’il se tût, la zone de clarté s’élargissait.

  1. Procès Zola, I, 258, 261 ; compte rendu de l’Aurore.