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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


au contraire, sur tous les points, le colosse se fâcha, reprocha à Leblois de « patauger à côté de la vérité », et s’embrouilla dans des explications contradictoires. La photographie de la fameuse pièce tour à tour rentra dans l’enveloppe et en sortit. Henry, en octobre, a vu au ministère Leblois, qui était alors dans le grand duché de Bade ; « en tous cas, à mon retour de permission ». Enfin, s’il a dit à Ravary qu’il a vu Leblois « compulser le dossier » avec Picquart, « c’était au figuré[1] ».

Pendant qu’Henry équivoquait ainsi, perdait pied et s’enfonçait, Picquart, un peu en arrière, l’observait, « d’un sourire étrange[2] », et, comme un chasseur à l’affût, attendait, dans un grand calme très exaspérant, le moment de l’achever. Ayant fait dire à Henry par quelle porte il était entré dans son cabinet[3] et à quelle distance il se tenait de son bureau[4], Picquart, sans rien contester de ses réponses, demanda simplement que l’on produisît la pièce. La photographie, quand Pellieux la lui a montrée, était très obscure, brouillée. Henry, entrant par la grande porte du cabinet, debout de l’autre côté du bureau, n’aurait pas pu la reconnaître. D’ailleurs, elle ne porte pas : « Cette canaille de D… », mais « Ce canaille de D… »

Il n’y avait plus qu’à faire l’expérience, et non seulement Henry était pris en flagrant délit de faux témoignage, mais toute la fable de la « dame voilée » s’écroulait du coup.

  1. Procès Zola, I, 362, 363, Henry.
  2. Bonnamour, 91.
  3. Procès Zola, I, 364, Henry : « Par la grande porte. »
  4. « Je ne pourrais pas dire si c’est à 10 centimètres ou à un pas seulement. — Enfin, le colonel Henry était de l’autre côté de mon bureau ? — En face de vous, et j’ai parfaitement vu la pièce, car c’est cette place qui m’a permis de voir la pièce et le dossier. »