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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Clemenceau, Delegorgue lui-même échouèrent à en tirer autre chose que des sottises sibyllines : que « c’était de l’écriture courante et que cela n’en était pas ; — qu’il y avait là dedans des quiproquos ; — que c’était une affaire toute spéciale, particulièrement, absolument spéciale ». « En mon âme et conscience, il est impossible que le bordereau soit de la main d’Esterhazy. ».

Il s’enfuit sous les huées. « Voilà, dit Labori aux jurés, l’accusation de 1894 ; il y a une charge : le bordereau ; et voilà l’expert, le principal expert ! »

Il avait dit encore à Yves Guyot que l’écriture de Dreyfus était dextrogyre, celle du bordereau sinistrogyre ; par conséquent, le bordereau était de Dreyfus, car le traître avait changé son écriture de sens, « ce que l’expert avait reconnu à certaines contractions de la plume[1] ». Guyot en déposa.

D’autre part, dès qu’Esterhazy, en novembre, était entré en scène, Bertillon avait écrit à Boisdeffre que « c’était l’homme de paille choisi par la famille de Dreyfus pour attirer l’affaire sur le plus mauvais terrain[2] » ; en d’autres termes, que les juifs l’avaient payé pour imiter l’écriture du bordereau. On sait que cette idée de génie lui était venue, avec la rapidité de l’éclair, le jour où Picquart lui montra un premier échantillon de l’écriture d’Esterhazy, mais sans le nommer[3]. Tout de suite, il avait pressenti la machination. Et il ne voulait pas démordre de son système. S’il avait parlé, c’eût été pour proclamer ce qu’il avait dit en confidence à Boisdeffre, qu’Esterhazy était « un

  1. Procès Zola, I, 441 » Yves Guyot.
  2. Lettre du 18 novembre 1897, à Boisdeffre. Rennes, II, 371, Bertillon).
  3. Voir t. II, 291.