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LE JURY


Du Paty. Celui-ci lui répondit qu’il lui procurerait des officiers de renfort « pour soutenir l’avocat et le jury » et que l’avocat « pouvait compter sur ses hommes ». Seulement, l’étourdi adressa sa lettre à un autre avocat du nom d’Auffray qui se trouvait être républicain. Il ouvrit la lettre sans regarder au prénom ; puis, au lieu de la renvoyer à Du Paty, il la porta à Barboux, ancien bâtonnier et membre du conseil de l’Ordre, qui la communiqua au Garde des Sceaux avant de la renvoyer à son véritable destinataire. Gonse, à son tour, se trompant d’adresse, alla rendre visite à François Auffray. Ces incidents furent connus. Les « patriotes » traitèrent François Auffray et Barboux[1] de voleurs ; les revisionnistes demandèrent si le rôle de claqueurs s’accordait avec le respect de l’uniforme et si c’était pour faire peur aux jurés que les officiers portaient l’épée au côté.

Cette invasion du Palais de Justice par les officiers qui, depuis deux semaines, y campaient, l’arrogance de Pellieux, maître du prétoire, ses menaces et surtout celles de Boisdeffre au jury, parurent aux plus résignés de graves symptômes : que devient la discipline dans l’armée ? qu’est-ce que ce pouvoir nouveau qui entre en scène ? Beaucoup de républicains s’en effrayèrent, mais se contentèrent d’en gémir. Les ministres eux-mêmes s’inquiétèrent, délibérèrent s’il ne conviendrait pas de frapper Boisdeffre au moins d’un blâme, pour éviter des complications diplomatiques avec l’Italie ; Billot s’y opposa, dit que le chef de l’État-Major général ne se laisserait pas réprimander, qu’il donnerait sa démission ;

  1. Le conseil de l’Ordre, saisi d’une plainte de Jules Auffray, décida, le 3 mai suivant, que Barboux devait être mis hors de cause. Au préalable, Barboux, qui faisait partie du conseil, avait donné sa démission.
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