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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


on l’a mise au-dessus du juge, pour qu’il ne fût pas troublé de cette vue. C’est à l’autre bout de la salle qu’il faudrait placer l’image afin qu’avant de rendre sa sentence, le juge eût devant les yeux l’exemple d’une erreur judiciaire que notre civilisation tient pour la honte de l’humanité. » Il dit aux jurés : « À vous de prononcer moins sur nous que sur vous-mêmes. Nous comparaissons devant vous. Vous comparaissez devant l’histoire[1] ! »

Une réplique de l’avocat général. Tancé pour sa mollesse, excité par les reproches, il grimpa, cette fois, à l’éloquence. Prenant pour texte la fin de la plaidoirie de Labori : « Les insulteurs sont obligés de se cacher ici derrière l’armée, en criant : « Vive l’Armée ! » Et aux jurés : « Prenez pour guide l’âme de la patrie ! » Labori lui répondit : « Je n’accepte pas que, même du banc de l’accusation, une parole d’insinuation ou d’attaque monte vers moi, malgré la hauteur du siège d’où elle part. » Et, lui aussi, il rappela « à la justice du peuple qu’elle allait rendre un jugement historique ».

Le jugement historique fut rendu au bout de trente-cinq minutes. À la majorité — par huit voix, dit-on, contre quatre[2], — Zola et Perrenx étaient reconnus coupables. Sur les circonstances atténuantes, le jury s’était divisé, six pour, six contre[3].

Un hurlement de joie accueillit ce verdict. On entendit ce mugissement du dehors, où de longues clameurs éclatèrent aussitôt. Dans la salle, dans les couloirs, sur les places et les rues qui entourent le Palais,

  1. Procès Zola, II, 404 à 428, Clemenceau.
  2. Journal des Débats du 25 février 1898.
  3. D’où le silence du verdict, les circonstances atténuantes devant être prononcées à la majorité.