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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


il était Lemercier-Picard), bien que le beau-frère et les parents du mort l’eussent formellement reconnu à la Morgue, ainsi que les tenanciers de l’hôtel de la rue de Sèvres[1].

Visiblement, les défenseurs patentés de l’honneur de l’armée cherchaient à épaissir les ténèbres autour de cet homme et de ce drame ténébreux.

On ne voit pas l’intérêt que de braves gens auraient eu à reconnaître un parent dans le cadavre d’un misérable qui leur aurait été étranger ; au contraire, il importait beaucoup à Henry de mettre en doute que le mort fût à la fois Lemercier-Picard et Leeman. Il n’avait pas, en effet, d’autres moyens d’échapper à ces redoutables questions : Comment cet extraordinaire contumax qui devait à la justice, au moment de sa mort, quatre ans et demi de prison, avait-il été épargné par toutes les polices de Paris et de province ? Qui donc le protégeait ?

Ces questions ne s’en posèrent pas moins, et d’au-

  1. Bertulus, après avoir interrogé Séverine, Léontine Le Bonniec, Émile Berr, le colonel Sever, Cloutier, le beau-frère et le cousin de Maurice Leeman, soumit à ces deux derniers des lettres de l’écriture de Lemercier-Picard ; ils déclarèrent aussitôt que c’était l’écriture de leur parent. Il se rendit ensuite à la Morgue avec eux et ils reconnurent formellement Leeman, en présence de Cloutier qui reconnut Émile Durand, et de Sever, qui reconnut Lemercier-Picard. (Confrontations et dépositions du 9 mars.) Cloutier raconta cette confrontation dans l’Intransigeant du lendemain ; il ajouta que les derniers logeurs du pendu, loin de contester l’identification, comme cela avait été raconté, l’avaient confirmée. Cependant, il doutait encore que ce fût Lemercier-Picard, parce que « l’Écho de Paris, qui a toujours paru bien renseigné sur les dessous de l’affaire Dreyfus, le nie énergiquement ». — Leeman fut également reconnu par un employé de commerce, Jean Picard, qui avait été son camarade de collège. Il l’avait soupçonné de lui avoir pris ses papiers ; il convint que son voleur était un autre. (12 mars 1898.)