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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES


contre la décision qui mutilait leur droit de défense[1].

Par contre, le septième moyen devait être accueilli, le texte de la loi étant formel. Et non seulement il suffisait à anéantir la condamnation, mais il offrait encore cet autre avantage, puisqu’il abolissait aussi la poursuite, de permettre à la Cour de casser sans renvoi. « Tout est fini, à moins d’une nouvelle poursuite régulièrement provoquée et engagée. »

Le langage des deux orateurs de la Cour de cassation fut fort différent ; Chambareaud fit effort sur lui-même pour ne pas sortir du cadre sévère d’un rapport juridique ; la véhémente parole, plus libre, de Manau s’en échappa. Ce grand vieillard, presque octogénaire, était un ancien proscrit de Décembre, l’un des derniers survivants de cette génération de 1848 qui avait porté dans la vie des illusions illimitées de justice et que la force brutale avait aussitôt renversée. Il était entré dans la magistrature après trente années de barreau, à la chute de l’Empire ; et, comme il avait gardé, sous une épaisse broussaille de cheveux blancs, pareille à une crinière flottante de neige, un visage jeune, coloré, mobile, des yeux ardents où la flamme du Midi n’était pas encore devenue de la lumière, de même il avait préservé, des atteintes de l’égoïsme et du scepticisme ambiants, une âme généreuse et toute brûlante des croyances qui, jadis, avaient fait la République si belle. Il frémissait donc de cette grande lutte pour une vérité qui, déjà, lui paraissait certaine et, redoutant qu’une grave violation de la loi eût été commise, il se fût cru déshonoré en s’en taisant : « Si Dreyfus a été illégale-

  1. Procès Zola, II, 459. Chambareaud. — De même Manau : « L’arrêt est manifestement interlocutoire : il devait donc être attaqué dans le délai imparti par l’article 373, c’est-à-dire dans les trois jours. » (484.)