Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
576
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sion sectaire[1] ». Et, chaque jour, des émissaires partaient dans toutes les directions[2], donnant le mot d’ordre, excitant les courages, secouant leurs torches par toute la France. Une circulaire invita les curés à devenir, dans chaque paroisse, les correspondants de la Croix[3]. Il eût été décent ou prudent de laisser les religieuses en dehors de la bagarre ; une autre circulaire demanda aux supérieures de toutes les communautés l’obole des nonnes pour la « guerre sainte[4] ». À cette date (avril-mai 1898), il n’y a pas en France de machine politique comparable à cette étrange société de « moines d’affaires ». La grande initiative contre-révolutionnaire vient d’eux ; cette conjuration à l’état permanent prend figure de gouvernement ; les séculiers, surtout les évêques, ne les aiment pas, mais, terrorisés par les Croix, tremblant d’être accusés de tiédeur et de passer pour suspects, ils suivent ou se taisent. Ils ont fait main basse à la fois sur la religion et, par l’Affaire, qui fait le fonds de leurs prédications et de leurs polémiques, sur le patriotisme. Les 96 cercles militaires catholiques, — l’Œuvre de Notre-Dame-des-Armées, qui disposait d’un budget d’un million et demi de francs[5], — se mirent avec eux.

Spectacle étonnant, mais nullement nouveau : déjà, les moines de la Ligue s’étaient présentés comme « les défenseurs irréprochables des franchises nationales[6] ».

  1. La Croix (brochure), 32.
  2. Procès. 62, 63, etc. — Lettre du P. Adéodat (perquisition de Bordeaux, scellé n° 2, pièce 6). — Sous un autre scellé, on trouve une liste de ces émissaires, le père Lazare à Dreux, le père Aloys à Lille, le père Roger à Gaillac, etc.
  3. La circulaire parut dans la Croix et fut portée à la Chambre par Dron dans son interpellation (12 mars 1898).
  4. Circulaire de l’abbé Garnier.
  5. Chambre des députés, 12 mars, discours de Dron.
  6. Michelet, Histoire de France, X, 195.