Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
610
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de sottise et de déloyauté n’a plus rien de nouveau. Une impression finit par s’en dégager, moins de colère que de monotonie. On ne s’étonne plus de rien. On s’habitue, comme à l’air qu’on respire, à cette collusion qui se perpétue pour abîmer ou salir les défenseurs de Dreyfus, c’est-à-dire pour protéger un traître avéré. Tout ce qui s’est appelé la conscience, le simple respect humain semblent perdus.

Nul doute, cependant, que les faussaires, elle plus audacieux de tous, n’eussent parfois peur de leur œuvre.

Un incident singulier le montra.

Henry, on se le rappelle, avait peu de rapports directs avec Billot. Il est probable que, s’il l’eût vu plus souvent, il l’aurait dissuadé d’autoriser le général Roget à procéder à une enquête personnelle sur l’affaire[1]. À quoi bon ? La mission une fois donnée, il fallut s’incliner.

Roget se mit à la besogne, questionnant beaucoup Henry, qu’il tenait en grande estime, plein de méfiance, au contraire, à l’endroit de Du Paty, et acharné surtout contre Picquart. Il le tenait pour vendu au Syndicat ; à force d’entendre dire que le petit bleu était un faux, il s’en était persuadé.

Il examina, en conséquence, la carte-télégramme avec beaucoup de soin et, comme il avait l’œil bon, il ne tarda pas à s’apercevoir non seulement que l’écriture en était « déguisée et contrefaite », nullement semblable, comme l’avait cru Picquart, à celle de Schwarzkoppen, mais encore que les lettres du mot Esterhazy, sur l’adresse, « n’étaient point liées entre elles, mais empâtées et baveuses[2] », et, de plus,

  1. Cass., I. 69, Roget.
  2. C’est ce que Picquart avait remarqué à l’enquête Pellieux. (Voir p. 106.)