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LA CHUTE DE MÉLINE

Scheurer, atteint depuis quelque temps du mal incurable qui devait l’emporter, avait dû renoncer à tout rôle actif. Il n’était plus qu’un conseiller, encore étonné de l’extraordinaire tempête qu’il avait déchaînée, meurtri cruellement par la dure sottise des républicains et la résistance des chefs de l’armée, mais plus passionné que jamais pour l’idéal de justice auquel il avait donné sa vie.

Zola répondit au Petit Journal par une apologie douloureuse de son père[1] et par une assignation. Judet n’avait encore appuyé son attaque d’aucune preuve que d’une conversation avec le général de Loverdo[2], Il réservait les lettres de Combe pour la reprise du procès. D’autre part, les trois experts, Couard, Belhomme et Varinard, que Zola avait accusés de fraude, d’imbécillité ou d’aveuglement, le harcelaient, réclamaient 300.000 francs de dommages-intérêts. Zola eût voulu faire juger l’affaire par le jury ; mais la Cour de cassation décida que les experts ne sont pas des fonctionnaires et, dès lors, que la juridiction correctionnelle était compétente[3] ; et c’était maintenant la condamnation certaine, toute la laideur d’un procès d’argent, avec l’impossibilité légale de fournir la preuve.

Ce poète, qui avait l’âme si révolutionnaire, l’avait, en même temps, très bourgeoise. Depuis vingt ans, chaque fois qu’il lançait une bombe (la plupart de ses romans sont explosifs), il s’étonnait que les blessés se permissent de crier et qu’on ne le laissât pas se rasseoir tranquillement à sa table pour en fabriquer de nouvel-

  1. « Mon père », dans l’Aurore du 28 mai 1898.
  2. Petit Journal du 25 mai.
  3. 14 mai 1898. — Zola s’était pourvu contre un jugement du tribunal correctionnel de la Seine qui, à la date du 9 mars, s’était déclaré compétent.


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