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LA CHUTE DE MÉLINE


ne pas le dire, c’eût été une lâcheté. Si je m’étais tû, bien des tristesses, bien des amertumes m’eussent été épargnées. Mais j’eusse eu le mépris de moi-même[1].

Il n’y eut guère que Clemenceau et Guyot pour protester, au nom des principes, contre le précédent d’une semblable poursuite[2]. Mais la lettre de Conybeare, reproduite par la presse du monde entier, eut un immense retentissement. Les douze deniers de la trahison, les deux mille marks par mois, devinrent, entre les mains des revisionnistes, une arme terrible. Et, encore une fois, Esterhazy baissa la tête ; Schwarzkoppen n’opposa aucun démenti.

Ces incidents se déroulèrent pendant la crise ministérielle. Le conseil d’enquête ayant conclu contre moi[3], Billot eut juste le temps de faire signer par Félix Faure et de contresigner lui-même le décret qui me révoquait de mon grade. Il n’eût pas voulu, bien que démissionnaire, en laisser l’honneur à Cavaignac.

  1. Vers la Justice par la Vérité, 136 et suiv.
  2. « Si, sous prétexte de service militaire, on peut mettre les Français au régime de se voir enlever leur grade dans l’armée, parce qu’ils auront écrit quelque phrase dont un général ne sera pas content, notre Gouvernement, de quelque nom qu’il s’appelle, n’est en réalité qu’un césarisme de prétoriens sans César. Et si les radicaux eux-mêmes n’ont rien à dire contre un tel état de choses, ils sont dignes dès aujourd’hui du sort qui les attend… » (Aurore du 24 juin.) — Le Spectator (de Londres) intitula l’article où il rendait compte de l’incident : « La Terreur militaire en France. » — La Gazette de Saint-Pétersbourg (Vedomosti, n° 156) critiqua vivement la décision de Billot : « Elle soulève la question de savoir s’il est défendu à tous les Français appartenant à la réserve et à la territoriale de s’occuper des questions politiques concernant la France. »
  3. 24 juin 1898.