Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


« l’innocent de l’Ambigu ». C’est une raison de son succès. Le mystère qui entoure le nom, brusquement révélé, de Picquart a excité de même les imaginations. On était las des autres acteurs du drame, du peu tragique Leblois, de Scheurer devenu aussi impopulaire, en quelques jours, que moi-même. Qu’est-ce que ce jeune colonel, accusé par les uns des pires méfaits, salué par les autres comme le justicier idéal ? C’est à lui que la dame voilée a dérobé le document libérateur ; on la connaîtra par lui. Pourquoi a-t-il été relégué en Afrique ? Pour la première fois, les amis de Scheurer se trouvent d’accord avec l’opinion en réclamant l’audition de Picquart. Le parterre veut savoir quelle figure est derrière ce nom, ce masque énigmatique. Pour applaudir ou pour huer ? On veut voir.

Cette curiosité devint vite impérieuse. La veille encore, au Conseil des ministres, à l’Élysée[1], Billot, affectant un grand dédain pour la naïveté de Scheurer et attestant que Mathieu n’avait fourni nulle preuve, pas même un semblant, annonçait la fin imminente de l’enquête et de cette piteuse tentative. Picquart étant très occupé en Tunisie, il serait fâcheux de le déranger de sa mission, de le faire, pour si peu, venir à Paris. Billot proposa l’un de ses moyens termes ordinaires : une commission rogatoire.

Les ministres, presque tous favorables à Esterhazy et qui ne s’en cachaient pas, trouvèrent la combinaison excellente ; mais il eût fallu la brusquer et s’en taire. Au contraire, les journaux l’annoncèrent, et les ministres eux-mêmes dans les couloirs des Chambres. Le coup rata.

En effet, dès que Scheurer fut informé de la dé-

  1. 18 novembre 1897.