toute cette presse, acharnée contre Picquart, en oublie Dreyfus. L’enquête n’est pas contre Esterhazy, mais contre lui. Il est avéré déjà qu’il a commis des fautes graves contre la discipline. Gonse redoute de voir publier sa correspondance avec Picquart ; Henry en fait parler par ses journaux, prend les devants, procédé infaillible. L’État-Major ne craint pas ces lettres, puisqu’il en révèle lui-même l’existence ; et, d’avance, on les déprécie[1]. Picquart va être arrêté. En tous cas, il arrivera à Paris « accompagné » ; « on sait ce que cela veut dire[2] ».
Et tous ces Alsaciens fidèles sont des « Prussiens », Picquart comme Mathieu, « officier dans l’armée allemande », a affirmé Georges Berry, député de Paris ; comme Leblois, le fils du vieux pasteur de Strasbourg qui, chargé d’ans, vient de se coucher pour ne plus se relever ; comme Lalance qui a osé dire publiquement son ancienne conviction ; ou comme Scheurer, « industriel allemand ». On vend, dans les rues, un placard illustré : Esterhazy, « victime des juifs », en bel uniforme, la cravache à la main, entre ces deux Prussiens, Dreyfus et Scheurer.
L’Alsace ressentit cruellement cette nouvelle blessure.
Ainsi Pellieux fut convaincu par Gonse, d’ordre de Boisdeffre, que Dreyfus était coupable, et par Henry qu’Esterhazy était la victime des machinations de Picquart, complice des juifs. Sans la félonie de Picquart, ce scandale n’eût pas éclaboussé l’armée.