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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Picquart n’avait pas eu un doute sur son devoir ; Cuignet n’hésita pas davantage.

L’honneur leur parla à tous deux le même langage. Tous deux l’entendirent.

Ils étaient fort différents d’intelligence ; leur loyauté fut la même.

Certainement, le devoir à remplir parut plus dur, plus cruel à Cuignet, et il l’était. Car Picquart apportait à des chefs qu’il croyait honnêtes une gloire alors facile ; Cuignet, en pleine bataille, leur apportait la défaite.

Il se sentit très malheureux ; puis, lui aussi, résolument, il obéit à sa conscience[1].

II

Le lendemain, 14 août, comme Picquart autrefois s’était rendu chez Boisdeffre, Cuignet se rendit chez Roget pour lui faire part de sa découverte[2].

Boisdeffre n’avait essayé d’aucune objection ; un seul cri lui échappa : « Pourquoi n’a-t-on pas brûlé le dossier secret ? »

Au contraire, Roget, parce qu’il n’avait eu aucune part au crime d’Henry, commença par le mettre en doute. Pourtant, depuis quelque temps, il n’était plus absolument certain que la fameuse lettre fût authentique, Ca-

  1. Cass., II, 29, Cuignet : « Quand j’ai dénoncé Henry, j’ai rempli un cruel devoir dont l’accomplissement m’a fait souffrir et me fera souffrir toujours ; si c’était à refaire, je le ferais encore ; mais j’aurais souhaité n’avoir jamais été mêlé à cette horrible aventure. »
  2. Ibid., I, 121, Roget ; 340, Cuignet ; Rennes, I, 198, Cavaignac.