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CAVAIGNAC MINISTRE


nimum l’imminent danger ; Brisson faillit les tirer entièrement d’affaire.

En effet, lorsque Cavaignac exposa son plan au Conseil et proposa à Brisson de lui faire voir, au ministère de la Guerre, pour qu’il en jugeât lui-même, les pièces secrètes, Brisson objecta qu’il vaudrait mieux s’en tenir au respect de la chose jugée, comme avait fait Méline. Il disait « la majesté des jugements ». « Elle se suffit à elle-même ; il n’y faut point toucher. » Et, longuement, à plusieurs reprises, il insista : « Étayer une sentence par la production de documents postérieurs, c’est l’ébranler précisément par la prétention de la fortifier[1]. » Mais Cavaignac protesta, se fâcha presque ; cet adversaire farouche de la revision s’obstina à la rendre inéluctable, à lui ouvrir la plus grande brèche.

Delcassé, le nouveau ministre des Affaires étrangères, eut pu, d’un mot, changer la face des choses, si Hanotaux, en lui remettant le service, l’avait instruit des protestations répétées de Tornielli et de Munster, et de l’incident diplomatique qui avait suivi l’incartade de Pellieux au procès de Zola. Mais Hanotaux s’en était tu, bien que ce fût son devoir étroit d’en avertir son successeur, et sans qu’on puisse apercevoir d’autre raison à ce silence que son amertume de tomber du pouvoir et d’être remplacé par un homme qu’il avait connu simple secrétaire de la rédaction à la République Française[2],

  1. Henri Brisson, Souvenirs, dans le Siècle des 10 avril, 13 et 20 juillet 1903.
  2. En 1886, quand je pris la direction de la République française, je fis choix de Delcassé comme secrétaire de la rédaction ; il connaissait les questions extérieures et les traita dans des articles qui furent remarqués. Hanotaux, après avoir été sous-chef du cabinet avec Gambetta, Challemel-Lacour et Ferry, puis conseiller d’ambassade à Constantinople, était alors député de l’Aisne.