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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


quelqu’un, pas même Drumont ou le marquis de La Ferronnays[1], pour rappeler, d’une interruption, que cet homme était le même dont elle avait pris la défense, il y a six mois, avec tant de passion, le célébrant comme le martyr des juifs. Pellieux, alors, l’appelait « Mon cher commandant » ; Boisdeffre lui cherchait des témoins contre Picquart et lui serrait la main publiquement, au procès de Zola ; et dans Paris, au Cherche-Midi, au Palais de Justice, le cri de : « Vive Esterhazy ! » se mêlait à celui de : « Vive l’armée ! » Pourtant, les lettres infâmes, la vie infâme de l’homme étaient déjà connues. Quel crime nouveau a-t-il commis ?

Hier, acquitté par ordre ; aujourd’hui condamné par ordre. Il n’aurait pas suffi, en effet, à Cavaignac d’annoncer qu’il l’envoyait devant un conseil d’enquête ; il avait commandé, s’érigeant en juge : « Il sera frappé des peines qu’il a méritées. »

Esterhazy exécuté de la sorte, Cavaignac passa à Dreyfus.

Mais, d’abord, en quelques nobles paroles, — car le dictionnaire de la rhétorique est à tout le monde, il n’est personne qui n’y puisse trouver de belles phrases et, dès lors, il est moins difficile de juger de l’âme du comédien, dont on sait qu’il n’est qu’un interprète, que de l’âme de l’orateur sur les mots qu’ils récitent — il s’adressa, au delà de l’assemblée, aux défenseurs de Dreyfus, et les salua comme des hommes de bonne foi : « Le silence observé jusqu’ici ou des manœuvres coupables ont permis de les égarer. Ils représentent une part notable de la pensée française. Un malentendu menace de s’élever entre eux et cette armée qui a pour mission sacrée de défendre le patrimoine de la France,

  1. Il avait recommandé Esterhazy à Billot. (Voir t. II, 284.)