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BRISSON


publiquement la voix : l’abbé Augustin Serres[1], longtemps seul ou presque seul, trouva des imitateurs, notamment l’abbé Pichot[2] et le père Maumus, de l’ordre des dominicains ; ils essayèrent de rappeler la conscience chrétienne à la charité.

Par malheur, les esprits qui se seraient calmés, dans une intervention prompte de la justice, de nouveau s’étaient échauffés, les uns sous les excitations des anciens partis qui, s’étant emparés de l’Affaire dans des desseins politiques, ne se résignaient pas à lâcher prise ; les autres, par colère contre des résistances qui, explicables hier, leur paraissaient aujourd’hui sans excuse.

Colère légitime, nécessaire et fâcheuse ; elle arrêta l’adversaire et l’exaspéra, comme fait une citadelle imprenable ; elle stimula et gêna le Gouvernement, comme un aiguillon trop pointu qui blesse au lieu de piquer.

La pensée écrite ne remue pas si profondément que la pensée parlée ; les réunions se multiplièrent. L’obsédante Affaire, qui poursuivait l’ouvrier dans son atelier comme le savant dans son laboratoire, on s’empressait, chaque soir, de l’aller retrouver aux salles enfumées et enfiévrées. Ces tribunes improvisées n’ont rien des chaires d’une Sorbonne. Même quand le contradicteur fait défaut, l’orateur, Jaurès ou le compagnon Boicer-

  1. Disciple et ami d’Ozanam. Dès novembre, il avait écrit une lettre chaleureuse à Scheurer.
  2. Il publia deux brochures : la Conscience chrétienne et la Question juive, la Conscience chrétienne et l’Affaire Dreyfus. — Un prêtre lui écrivit : « L’Église avait un beau rôle à remplir, rôle qui l’eût réhabilitée en France, crier : « Justice ! justice pour tous ! » Elle ne l’a pas compris… Je prévois que seule, ou presque seule, elle portera le poids des rancunes populaires. »