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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


avaient l’air, et l’adhésion des hommes les plus instruits de l’Affaire, surtout celle de Mathieu Dreyfus, de Zola et de Monod, m’encouragèrent à continuer. Je publiai deux nouveaux articles[1].

Le jour où parut le second, le plus formel que j’eusse encore écrit, Bertulus déposa devant la chambre criminelle[2]. Il raconta la séance où Henry s’effondra, pleura, sanglota, sous l’accusation d’être le pourvoyeur d’Esterhazy, sans un mot de protestation.

Je ne l’avais pas revu depuis le jour où, dans son cabinet, il m’avait invité à l’avertir, si Lemercier-Picard venait chez moi, pour qu’il accourût et l’arrêtât, et je ne savais rien de son dramatique entretien avec Henry. Nul concert entre nous, aucune communication. Quelque temps après, quand je connus sa déposition, je n’allai pas plus chez lui que chez Cordier, et pour le même motif. Le hasard fit la coïncidence ; mais combien, parmi les conseillers, parmi les militaires aussitôt informés, crurent au hasard ?

Les amis d’Henry, les adversaires de la Revision résolurent, avec leur promptitude et leur audace habituelles, d’agir.

Je m’étais trompé sur la remise du bordereau en d’autres mains que celles d’Henry (en apparence, c’était la base de mon système) ; surtout, depuis plus de vingt ans que j’étais dans la politique, j’avais réuni sur moi beaucoup d’animosités, tant pour mes propres actes que par l’affaire du Panama, où j’avais été moi-même étranger, mais où mon nom avait été mêlé. Sauf à mes débuts, dans la lutte contre le Gouvernement du Seize-Mai, j’avais nagé contre tous les courants ; on m’avait

  1. Siècle du 26 novembre 1898 (Arcades ambo) et du 6 décembre (Les Deux Traîtres).
  2. 6 décembre. (Cass., I, 219 à 229.)