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LE DESSAISISSEMENT


Il tenait à savoir par quelles mesures le Gouvernement protégerait « contre les indiscrétions des secrets qui intéressaient la sûreté de l’État »[1].

Ce Lasies, qui s’était érigé l’un des porte-paroles de l’armée, était un officier de cavalerie démissionnaire, député du Gers comme Cassagnac, dont il avait la fougue, la faconde et l’insolence, et qui ne pouvait le sentir, bon garçon en apparence, ce qui permet d’être plus méchant quand cela est utile, avec de l’esprit, bien que gros, et de la finesse dissimulée sous de la violence. Il prenait des airs de mousquetaire et faisait volontiers blanc de son épée.

Dupuy, pour gagner du temps, dit que le premier devoir du Gouvernement, c’était évidemment « d’assurer la sécurité de l’État et qu’il n’y manquerait pas », mais qu’il fallait renvoyer l’interpellation à un mois.

Ces ajournements donnaient à la Chambre l’illusion d’échapper à l’Affaire.

Il lui eût suffi, pour s’en délivrer entièrement, d’une heure de courage ou de bon sens. Quoi ! ces terribles papiers sont réclamés par ceux qui croient à l’innocence de Dreyfus et refusés par ceux qui la nient !

En regard de cette impuissance des républicains à prendre parti, ce qui frappe, au contraire, chez les militaristes et les catholiques, c’est de savoir exactement ce qu’ils veulent, l’esprit de suite, l’implacable résolution d’empêcher, par tous les moyens, la justice. Ils avaient subi plus de défaites qu’il n’en eût fallu pour écraser cent fois des gens qui eussent combattu pour une bonne cause. Or, leurs forces matérielles étaient à peine diminuées et, toujours, ils gardaient, ils reprenaient l’offensive.

Rien ne leur manquait, qu’un chef.

  1. Séance du 18 novembre 1898.