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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pas prononcer le nom de l’Allemagne à l’occasion de l’affaire Dreyfus[1]. Hanotaux, en effet, avait promis au comte de Munster qu’aucune ambassade étrangère ne serait officiellement mise en cause[2].

Ainsi, ce pays pouvait mobiliser en quatre jours près de deux millions de soldats ; ses frontières étaient garnies de cent forteresses et dix mille canons ; depuis vingt-huit ans, se saignant aux quatre veines, il avait dépensé près de vingt milliards pour la défense nationale ; chaque année, il donnait à la caserne la fleur de sa jeunesse ; et c’était pour en arriver là qu’on ne pouvait pas dire que des documents avaient été vendue à l’Allemagne par un espion et que cela était prouvé par des lettres interceptées ; car, si on le disait, ce serait la guerre !

Généraux, hommes d’État et patriotes de carrefour, s’ils avaient voulu ruiner l’institution militaire et, plus encore, l’idéal militaire du peuple, sans lequel l’institution n’est rien, et le regret sacré des provinces perdues, sans lequel la France ne serait qu’une grande Belgique — ils ne s’y seraient pas pris autrement, qu’ils eussent vraiment la peur de l’étranger ou qu’ils en jouassent la comédie.

IV

La Chambre criminelle accepta toutes les conditions que lui proposa Freycinet, l’engagement pour elle de ne

  1. Petit Journal du 19 décembre 1898.
  2. Voir t. I, 256. — Cependant d’Ormescheville avait mis nettement l’Allemagne en cause, quand il parla des prétendues facilités que Dreyfus aurait eue pour se rendre en Alsace. C’est ce que je fis observer à Cavaignac. (Siècle du 21.)