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MORT DE FÉLIX FAURE


la chasse, superbe et gaillard, pendant que ses invités, militaires et civils, traînaient la jambe. Il demanda à cette jeunesse artificiellement prolongée plus qu’on n’est en droit d’en attendre aux approches de la soixantaine. Mais il cachait avec soin son usure, et il avait fallu une attaque qu’il eut au Havre, à la fin de l’été, pour en avertir son entourage et ses médecins. On l’engagea alors à se ménager. Il n’en voulut rien faire et, chassant, chevauchant, toujours en mouvement, s’acquittant avec conscience des fonctions de sa charge, y satisfaisant sa vanité, un peu épaissi et volontiers congestionné, la parole parfois empâtée, mais plus glorieux et portant plus beau que jamais et, aussi, plus pressé que jamais de jouir de la vie, il rusait avec son mal et l’aggravait.

Après le Conseil, qui s’était prolongé fort tard, il déjeuna gaîment, causa avec Le Gall, le chef de son secrétariat civil, et donna audience, comme à l’ordinaire. Il reçut d’abord le cardinal Richard[1], puis le prince de Monaco qui revenait de Berlin, où il s’était entretenu de l’Affaire avec l’Empereur allemand[2]. C’était l’attestation formelle de l’Empereur au sujet de Dreyfus et d’Esterhazy que le prince venait répéter au Président. Comme ce n’était pas la première tentative qu’il faisait près de lui, il savait d’avance qu’il serait mal écouté[3], mais il le fut plus mal encore qu’il ne s’y attendait. Faure,

  1. De 3 heures et demie à 4 heures un quart. (Récit de Le Gall.)
  2. Le prince m’avait écrit de Berlin : « J’entends dire partout que les Français ont perdu le sentiment de la justice… L’admiration qu’on professe pour la noble phalange qui défend le droit et la vérité ne me console pas de ces propos. » (13 février 1899.)
  3. « Je me souviens de l’embarras du Président, lors d’une visite antérieure, quand il me disait ; « Dreyfus est vraiment coupable, vous pouvez en être assuré. » (Lettre du 18 février.)