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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


page, dans le goût de la littérature attendrie du dix-huitième siècle, la petite cité enguirlandée de buis sauvage, accourue tout entière pour acclamer « Monsieur Émile », dont la fortune était un peu son œuvre, les vieux, les camarades d’école qui se délectaient à le tutoyer, le beau-frère, marchand de fer, le frère, médecin de campagne, la mère octogénaire, qui avait quitté sa ferme de Marsanne pour aller au-devant de « son garçon » ; elle s’était installée sur une estrade, d’où elle le verrait défiler dans sa gloire, au bruit des musiques et du canon ; et, lui, dès qu’il l’aperçut, il fit arrêter sa voiture, malgré les « autorités » qui l’accompagnaient, et s’élança vers elle, l’embrassa à cœur joie, pendant que la vieille campagnarde pleurait et répétait : « Tu n’es pas malade, au moins ! » Ces scènes aimables, de petits discours à l’avenant, touchèrent les bonnes gens, l’immense majorité de ce bon pays que quelques furieux essayaient de rendre mauvais. En mai, à Dijon, il trouva encore les mots qu’il fallait, des mots de brave homme qui veut la concorde et la fin des querelles : « Je suis un optimiste ; avec de la bonne volonté de part et d’autre, la réconciliation, l’union se fera…[1] »

Le « beau monde » parisien, celui des cercles et des « grands bars », décida d’étouffer cette popularité naissante ; la première fois où ce pacificateur se montrera en public, on le huera. Ce scandale, la fuite du chef de l’État sous les outrages, sera le signal de nouveaux troubles[2].

  1. 21 mai 1899, à Dijon.
  2. Guyot rapporta ce propos de Coppée, le jour de l’acquittement de Déroulède : « Il nous faut un coup d’État d’ici la fin de la semaine, qu’il soit fait par un général, un commandant, un lieutenant, ou nous sommes perdus. » (Siècle du 1er  juin 1899.) Nul démenti. — Propos analogues de Millevoye, du comte de Dion, etc.