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CHAMBRES RÉUNIES


de céder quelque chose. Enfin, il posa d’avance, avec une brutalité extrême, la question de confiance, déclara qu’il mettrait aux sénateurs le marché à la main, les rendrait responsables de la crise[1].

À la Chambre, il l’avait emporté en une séance, sans presque combattre. Il lui fallut trois jours[2] pour vaincre au Sénat, pour faire entrer dans la loi la monstrueuse illégalité, qui n’avait paru qu’une sottise, la première fois où l’idée en vint à Cavaignac.

La veille du débat, Guyot, dans un de ces articles documentés où il excellait, où les faits parlaient, observa que le projet de Dupuy n’aurait même pas pu être discuté dans un autre pays civilisé. Tous ont inscrit dans leurs Chartes que « nul ne peut être distrait de son juge naturel[3] ». La catholique Espagne elle même, malgré l’Inquisition et les moines, y a insisté en termes exprès : « Nul Espagnol ne peut être poursuivi ni jugé, sinon par le juge du tribunal compétent, en vertu des lois antérieures au délit et en la forme que ces lois prescrivent[4]. » Cette vérité de droit naturel, si la France, après l’avoir écrite dans la Constitution de 1790, ne l’a pas répétée dans les Constitutions ultérieures, c’est qu’elle avait paru, aux Bonapartes comme aux Bourbons, trop évidente, hors d’atteinte.

La résignation de Loubet attrista les adversaires de la loi, mais sans les ébranler.

  1. 27 février 1899.
  2. 27 et 28 février, 1er  mars.
  3. Article 8 de la constitution belge. — De même, articles 58 de la constitution suisse, 7 de la constitution prussienne, 150 de la constitution hollandaise, amendement 6 à la constitution des États-Unis, etc.
  4. Article 9 de la constitution de 1845.