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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


défiaient le conseil de guerre de commettre une seconde erreur. Une espèce de foi mystique, anti-scientifique, dans la justice des choses, qui s’était accrue avec le succès, endormit jusqu’aux plus avisés. « Les esprits s’apaisent, écrivait Cornély, les consciences se tassent ; dans un mois, tout sera fini par un acquittement unanime. » Ou encore : « Les juges acquitteront, parce que la pierre tombe, parce que la terre tourne, parce qu’il y a pour le mouvement des esprits des lois aussi inéluctables que celles qui régissent la matière[1]. »

Au contraire, Waldeck-Rousseau, qui avait l’habitude de regarder les difficultés en face, se persuadait davantage que « l’accusé avait seulement un petit nombre de chances[2] ». Encore les perdrait-il si les journalistes continuaient à mettre en cause, indistinctement, les chefs de l’armée ; surtout si les avocats ne s’enfermaient pas dans l’arrêt de la Cour de cassation. Elle n’avait pas osé clore l’Affaire, mais elle s’était prononcée, avec toute l’autorité de la chose jugée, sur les aveux et la communication secrète.

On n’a pas oublié que tant de faits inconnus du premier conseil de guerre, l’écriture d’Esterhazy, le papier-pelure d’Esterhazy, « tendaient » seulement, aux termes de l’arrêt, « à démontrer que le bordereau

  1. Cornély, dans le Figaro du 24 juin et du 6 juillet 1899. — J’étais moins « optimiste », mais je l’étais aussi. De même Guyot et Jaurès : « Le jugement du conseil de guerre ne peut être qu’une formalité. » (Siècle du 16 juin.) « Quelle que soit la passion mauvaise ou lâche des officiers, ils seront obligés de proclamer l’innocence du martyr. » (Petite République du 30.) — On doit faire la part, dans les articles et les propos d’alors, à la nécessité, qui s’impose aux meneurs de l’opinion, de donner confiance à leurs troupes ; des pronostics de défaite n’ont jamais encouragé personne.
  2. Lettre du 16 juillet.