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RENNES

Nulle atmosphère moins saine, surtout aux juges-soldats, tout ensemble chargée d’électricité et frelatée, alors qu’il eût fallu celle des altitudes, où l’esprit, comme le corps, retrouve son équilibre dans la fraîche et légère clarté.

Les officiers de la garnison et les témoins militaires à charge fraternisèrent du premier jour ; plusieurs avaient été camarades aux mêmes régiments ; les nouvelles amitiés ne furent pas les moins ardentes. L’esprit de corps s’arrêta à Hartmann, à Ducros, à Freystætter, mis en quarantaine[1].

Mercier descendit chez le général de Saint-Germain, son ami de vieille date, que nous avons vu présider le conseil d’enquête contre Picquart[2] et qui avait pris, depuis quelques mois, sa retraite à Rennes où il recevait beaucoup de monde, tout ce qu’il y avait de titré et de bien pensant, bon nombre de prêtres, et les généraux Lucas et Julliard avec leurs états-majors, qui s’en trouvaient très honorés. Saint-Germain était un petit homme, ventru et hottu, presque bossu, la figure mauvaise, qui avait souffert pendant toute sa carrière de son physique et en était devenu plus méchant, toujours en mouvement et en colère, et pourvu d’une femme qui n’était pas moins enragée que lui ; depuis l’arrêt de la Cour de cassation qui avait désigné Rennes, elle se livrait à une propagande acharnée dans les salons, les petits ménages des officiers et jusque chez ses fournisseurs et les boutiquiers. La maison des Saint-Germain sera ainsi le quartier général de Mercier, où il

  1. Barrès : « On se montre, dans la cour du Lycée, les commandants Hartmann et Ducros qui se promènent sans qu’aucun de leurs camarades ne les aborde. Cette quarantaine durera jusqu’à ce que ces messieurs quittent l’armée. » (Journal du 30 août 1899.)
  2. Voir t. III, 324.