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RENNES


avait envoyé son offrande à la souscription Henry[1], c’étaient des gens de modeste extraction, sans passions religieuses ou politiques, plutôt républicains. Le hasard, l’ancienneté dans chaque grade qui les avait désignés, eût pu donner à Dreyfus des juges beaucoup plus foncièrement hostiles. De fait, le doute était dans chacun d’eux, comme leur préoccupation du témoignage de Mercier eût suffi à le prouver, surtout chez le vieux Jouaust, qui n’avait plus rien à attendre de la fortune, à la veille de prendre sa retraite à Rennes même, où il était né et s’était marié, belle tête un peu dure, la figure balafrée d’une épaisse moustache blanche, le front haut, « sans transparence », le regard fermé, mais brave homme autant que bon soldat, tendu et timide, et dont la rudesse n’était qu’un masque[2].

Les autres juges étaient le lieutenant-colonel Brogniart, directeur de l’école d’artillerie, d’humeur inquiète, avec de la tristesse dans le regard et le visage tout en angles ; les commandants Merle et Profilet, camarades

  1. 3e liste : « Bréon (commandant) et Mme Bréon, 5 francs. »
  2. Pour la physionomie du procès de Rennes, voir Ajalbert, Dessous du procès de Rennes ; Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme ; Jean-Bernard, le Procès de Rennes ; Chevrillon, Huit jours à Rennes, dans la Grande Revue du 1er  février 1900 ; Claretie, Impressions de Rennes dans le Temps (août-septembre 1899), sous le pseudonyme de Linguet ; Séverine, Vers la lumière ; et les articles, presque quotidiens, de Jaurès, Viviani, de Maizières (Gaulois), Marcel Prévost (New-York Herald), G. Bec (Écho de Paris), Varennes (Aurore), Gaston Salles (Siècle), Serge Basset (Matin), Ducuing (Journal des Débats). — Pendant toute la durée du procès, je fus tenu au courant des variations de l’affaire par Mathieu Dreyfus, Gast et Basch, qui m’écrivaient presque tous les jours. Les lettres de Gast, d’un accent très personnel, vives comme des photographies instantanées, me donnaient l’opinion de Picquart. Je reçus également des communications fréquentes de Trarieux, de Bernard Lazare et de Labori.