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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


des chefs et des camarades qu’il avait connus au ministère et sur les champs de manœuvres, qui l’ont fait condamner, le croyant peut-être coupable, et qui, le sachant certainement innocent, sont conjurés pour le faire condamner une seconde fois. Mercier, Gonse, Boisdeffre répondirent par un « Présent » sec, « bref comme un signal de bataille[1] », lui jetèrent un rapide regard. Absents Du Paty « indisposé », Weil « malade », Esterhazy. Le greffier dit qu’on n’en avait « pas de nouvelles » (sa lettre arriva seulement dans la soirée), et Carrière qu’on ne savait pas « s’il viendrait ou ne viendrait pas, mais que « cela dépendait absolument de lui et qu’il fallait passer outre aux débats[2] ». Les avocats y consentirent, ne pouvant pas faire autrement, mais sans saisir l’occasion de dire tout de suite ce qui aurait dû dominer le débat : que la fuite d’Esterhazy après la mort d’Henry, aujourd’hui son refus de comparaître quand il pouvait parler (ou mentir) sans qu’il lui en coûtât un cheveu, sa peur manifeste d’affronter Dreyfus, équivalaient à l’aveu qu’il était l’auteur du crime ; que c’était la preuve directe de l’innocence de l’homme qui avait payé pour lui ; et qu’ainsi, devant la raison humaine et le plus simple bon sens, la cause était entendue[3]. Au contraire, on allait rengager l’affaire comme si Esterhazy n’avait jamais existé.

Jouaust annonça qu’il faisait citer, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, le lieutenant-colonel Guérin, le contrôleur Peyroles, le commandant de Mitry et le capitaine Anthoine, — puisque la défense elle-même a

  1. Claretie.
  2. Rennes, I, 8 et 9, Carrière.
  3. Clemenceau : « Je vois avec surprise que la présence ou l’absence d’Esterhazy paraissent indifférentes à M. le commandant Carrière. » L’article est intitulé « la Folle Journée ».